Présentation
Au croisement des sciences humaines et sociales, de la philosophie politique, de la science-
fiction, des arts, des techniques et du bricolage, l’association Prospect Station propose un
festival annuel autour des utopies techniques comme moyen de décloisonner les imaginaires
et de déborder les frontières du réel afin de répondre aux problématiques écologiques,
sociales, politiques, techniques, fictionnelles de notre temps. Le festival interroge dans une
perspective critique et féministe d’écologie populaire les imaginaires techniques et ses
pratiques associées. Situé en centre-Bretagne, sur la commune de Mellionnec, le festival
invite des chercheur·e·s, des artistes, des artisans, des technicien·ne·s et des militant·e·s à
venir présenter leurs travaux et à partager leur savoir-faire dans le cadre d’ateliers, de débats,
de conférences ou de séminaires.
L’objectif du festival est de croiser des pratiques techniques et connaissances plus théoriques,
savoir et faire. Faire, c’est-à-dire retrouver la connaissance pratique de certains objets
techniques, savoir être bricoleur·se·s et réparateur·ice·s pour sortir du cycle de
l’obsolescence, faire l’expérience d’un quotidien réinventé par mille et une tactiques et ruses,
du détournement d’objet, en passant par la réappropriation de savoir-faire et la réparation, ces
contournements buissonniers de la raison technicienne (sans condamner tout le mouvement
industriel et ses innovations). Savoir, c’est-à-dire mettre en perspective, questionner et
débattre autour des interventions de chercheur·se·s, mais aussi d’auteur·e·s de science-fiction
et de professionnel·le·s et technicien·ne·s de la maintenance sur le sens, l’éthique des objets
techniques, leur construction, leur transformation et leur imaginaire.
Coordination scientifique : Association Prospect Station : Fanny Lopez (Ensa Paris-
Malaquais, co-dir. LIAT), Alice Carabédian (philosophe), Robin Kerguillec et Élise Feltgen
(libraires à Mellionnec). En partenariat avec la Librairie Le Temps qu’il fait de Mellionnec, en
partenariat avec l’association TyFilms et les Musiques Têtues.
Pourquoi un festival sur la technique et qu’entendons nous par “imaginaires techniques” ?
La technique est un ensemble complexe et divers : ce sont des outils, des objets, des systèmes productifs ou extractifs, des matériaux, des savoir-faire, des filières professionnelles, des usages, des gestes… Cette grande variété peut nous faire perdre de vue l’importance de la question technique en elle-même si nous ne faisons pas un effort pour mieux la comprendre et saisir les enjeux politiques et sociaux qu’elle soulève.
D’abord, toute technique est ambivalente, et n’est jamais seulement un moyen en vue d’une fin. Qu’il s’agisse d’une brosse à dent ou d’un tracteur, l’usage d’un objet technique façonne un certain rapport au monde : il nous permet (par exemple, de retourner de la terre), et nous contraint (à utiliser de l’essence ou à engager notre corps selon la machine ou l’outil choisi). Ainsi nous sommes transformé·es par les techniques que nous employons, de façon plus ou moins heureuse. Il faut ajouter qu’à l’heure des guerres et des catastrophes climatiques, force est de constater que nous ne maîtrisons pas entièrement les effets des techniques sur le monde que nous habitons.
Puisque les objets techniques transforment notre planète et nous transforment, ils sont aussi des objets culturels. Qu’il s’agisse de systèmes en réseau (routier, ferroviaire, électrique, télécom, numérique) ou d’objets d’apparence plus solitaire (centrale nucléaire, panneau solaire, éolienne, ampoule, marteau, tracteur…), les systèmes techniques sont inséparables des imaginaires qui les soutiennent (technophile, productiviste, sobre, décroissant, anti-tech, etc.).
Si certains persistent à décrire les systèmes techniques comme des instruments au service de la maîtrise de « l’Homme » sur son environnement c’est que cet imaginaire toxique domine encore largement aujourd’hui. Ses ravages (impérialistes, productivistes, extractivistes) le signalent trop bien. Fort heureusement, la technique n’est pas un ensemble d’outils neutres, réservoir de services « universels » pour des besoins « naturels ». Au contraire, à chaque fois qu’il y a un usage technique, il y a une spécificité éthique, sociale, politique et un imaginaire associé à celui-ci.
C’est pourquoi nous avons toutes et tous affaire avec la question technique et ses récits, et des problématiques urgentes requièrent notre attention :
Comment sortir la technique de sa seule relation à la prétendue histoire du progrès et de la quête d’une rentabilité productive sans tomber dans la technophobie ? Comment se réapproprier les cultures techniques et mettre en lumière les imaginaires plus heureux et émancipateurs qui, d’hier à aujourd’hui, dessinent des mondes différents ?
La Machine dans le jardin a l’ambition d’explorer ces questions :
Nous héritons et nous dépendons d’ensembles technologiques et infrastructurels que nous devons transformer car nous ne pouvons ni revenir en arrière, ni les ignorer. Nous pensons que la critique des conditions matérielles de notre environnement et de ses pollutions irréversibles nécessite de se rapprocher du « monstre moderne » pour se saisir de l’ampleur de la catastrophe. Et mieux la contrer.
Bifurquer, rediriger, réparer, fermer ou transformer, c’est revenir sur les choix technologiques, restituer les controverses et les luttes qui font partie de l’histoire des infrastructures, de leur développement, de leur fonctionnement, de leur entretien. C’est aussi éclairer la riche histoire des alternatives aux systèmes extractivistes et capitalistes. Certaines pratiques ne prétendent pas à des solutions universalisantes. Il devient nécessaire d’écouter les utopies sociales, les imaginaires techniques écologiques, anti-racistes, féministes et émancipateurs, des plus prosaïques aux plus science-fictionnels.
En examinant les machines qui cohabitent dans le jardin planétaire jusque dans ces confins intergalactiques, ce festival porte une double ambition : questionner les formes techniques monstrueuses du capitalisme, et surtout, éclairer ses plus heureuses alternatives pour de nouveaux lendemains techniciens.
Comme nous y invitait l’écrivaine de science-fiction Ursula K. Le Guin : « Je pense que des temps difficiles s’annoncent, où nous aurons besoin de la voix d’écrivains capables d’envisager des alternatives à notre mode de vie actuel, et de voir, à travers notre société effrayée et ses technologies obsessionnelles, d’autres façons d’être. Et même d’imaginer de véritables raisons d’espérer. Nous aurons besoin d’écrivains qui se souviennent de la liberté : des poètes, des visionnaires, des réalistes d’une réalité plus vaste. »